Une maison, comme l’île de Robinson

Je suis rentrée chez-moi. J’ai accroché les clés, actionné l’interrupteur de la lampe pour faire un peu de lumière et je suis passée au lavabo pour me laver les mains. Le savon sent le thym, ça me calme dès que j’ouvre le robinet. Récurage consciencieux, comme une technicienne dans un laboratoire. Les linges de maison sont neufs pour égayer ces nouvelles manies de survie. J’ai mis de l’eau à bouillir. J’hésitais entre un thé vert à la menthe bien sucré ou une camomille. L’idée d’une coupe de vin blanc m’a effleurée l’esprit mais le bon sens a secoué mon désir de frivolité en plein lundi. J’étais seule dans mon haut de duplex. À part, bien sûr, le chien, un caniche bichon ébouriffé qui dégage autant d’énergie qu’un parc de résidus nucléaires. Big infuse la joie de vivre avec ses cabrioles sophistiquées, donnant parfois l’impression d’être suspendu au-dessus du tapis pour immortaliser la pause pendant une nano seconde hilarante.

Le dialogue débile entre Big et moi, suite de « il est où ton toutou – gaga gougou » sans queue ni tête, une tisane, la lueur de la lampe, l’odeur du thym et la neige qui neige dehors. Et mon cerveau qui encaisse une autre consigne de 13h. Les mesures du duo Legault-Arruda sonnent comme des coups de tonnerre pour secouer les guerriers que nous sommes. Le Larousse va finir par craquer avec toute cette nouvelle terminologie.

Est-ce la fin du monde? Est-ce que je voudrais revenir en arrière, début 2020, alors que je préparais ma valise pour un autre voyage, cette fois à Tulum? Quelques mois plus tôt, il y avait eu la Grèce, puis St-Vincent-les-Grenadines, Bali, et le titanesque Grand Canyon en Arizona… Loin de chez-moi.

Ce soir, j’ai pourtant l’impression que cet intérieur est une destination étrangère. Une lente progression au coeur d’un dédale étonnant. Je m’étonne de tout : le raffinement d’un bouillon de légumes concocté avec des restes, les accords d’une symphonie glanée sur un nouveau profil Facebook, une journée sans achat sur le point de se muer en semaine… Les contraintes économiques prennent une tournure esthétique. Je suis en train de redéfinir les valeurs refuges qui me semblaient si inatteignable, dans l’autre monde, celui de l’inconscience collective.

J’aime ce nouveau chez-moi, ce pays inconnu. Apatride dans un quatre et demi.

J’attends la prochaine annonce en sachant que le périple n’a pas fini de me révéler d’étranges surprises.

Qui sait? Cet étrange voyage me donnera peut-être envie de ne jamais revenir, début 2020.

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La dérive du déconfinement