Cinq déménagements et le début d’une nouvelle vie

Je déménage. Encore. Nomade dans mon âme sans pouvoir y puiser l’ombre du souffle d’un infime plaisir. Cette fois-ci, c'est la dernière. Je m’en vais vieillir dans notre petite maison posée milieu des pruches. En attendant de la voir se bâtir, nous avons adopté le plan « chalet ».

Pendant que je jongle avec la vie pliées dans les compartiments, mes voisins heureux profitent d’un samedi ensoleillé sur leur perron. Le barbecue répand ses effluves, les rires fusent. Un samedi extraordinaire. L’été explose au ralenti dans une gerbe de plaisir. Les steaks en odoramat, le glouglou du rosé versé dans les coupes, un sac de chips défroissé.

Je me sustente d’une pointe de pizza frette en faisant les allers-retours dans la cage d’escalier. À transporter des boîtes. Un miroir. Un sac de poubelle rempli d’oreillers. Un robot culinaire. Un rack de guénilles. Des roches, encore des roches. Et mes plantes, mes enfants chlorophylles que j’arrache à leur pan de lumière.

Encore une autre migration. J’espère que ce sera la dernière, j’en ai marre de vider les placards. Marre de trier l’inutile. Pourquoi ai-je vécu avec cette montagne de gugusses inutiles? Comment tout ce fatras s’est-il infiltré dans ma vie? Pourquoi avons-nous tous un tiroir encombré d’une salade d’objets méli-mélo? Conspiration universelle. Ce ramassis d’oublis qui nous regarde en pleine face jour après jour pour défier l’implacable déni. Des factures? Quelles factures?

Nuages sombres sur une belle soirée d’un presqu’été.

Drôle de mois de mai. Tous les membres de ma famille déménagent. Mes parents quittent leur maison après y avoir passé 1000 ans. Ils recommencent une nouvelle vie au rez-de-chaussée de mon duplex. Mon fils Ludovic et sa blonde Fred s’installent dans le logement au-dessus. Petit-fils et grands-parents, une génération par étage, n’est-ce pas formidable? Ludo fera déborder sa généreuse cuisine, ses guacamoles, sauces tomates et autres plaisirs végé, jusque dans les assiettes de ses aïeux. Fred va bosser, Fred va chanter. La vie sera plus légère parce qu’il y aura aussi de la poésie saupoudrée ici et là. J’ai enfanté un poète, vous l’ai-je déjà dit? Je répète le même refrain, je ne sais pas tenir la note mais je sais me vanter quand il est question de mes enfants, si brillants et si beaux.

Clothilde et Ced-homme-des-bois se retrouvent enfin après un hiver long, bien trop long.  Elle était à Montréal, il étudiait dans Portneuf. Les matins seront désormais composés de silencieux coude-à-coude près de la machine à café. Ce sera leur première maison juste à eux, sans colocs et party improvisés. Mais il y aura quand même un peu de folie, même si l’étrange rigueur persistante nous force à mettre de l’ordre dans nos effusions festives. Cette maison sera à l’image de Clothilde : lumineuse, éclaboussé de bonheur, régie par un nouvel ordre qui respecte le monde.

Un-deux-trois-quatre déménagements. 

Et le cinquième mouvement, touchant : la nouvelle vie de mon bébé Méika.

Premier bail, virage solo, les deux mains sur le volant, fière d’être aux commandes. Pas encore de lassitude, juste un élan intrépide et rafraîchissant pour honorer le début de sa vingtaine.

Méika fait lentement mais sûrement l’inventaire de son « trousseau », les essentiels : électroménagers, divan-lit recueilli chez mon amie Jo (merci, Jo!), nouveau set de vaisselle et de jolies casseroles qui n’ont jamais rien brûlé. Que du flambant neuf, du bel usagé et du blanc, beaucoup de blanc comme dans les tableaux sur Pinterest qu’elle collectionne avec des étoiles dans les yeux.

Ma fille part sur un nouveau continent, loin, très loin du mien, dans le quartier de la Petite Pologne à Trois-Rivières. Elle quitte la bulle mère-enfant. Elle ira faire sa vie, recevoir la visite, pleurer et rire sans que je puisse entendre la nuance de ces éclats. Ma fille ira noircir les pages de son calepin pour dire à son tour comment la vie est belle. Elle apprendra à être courageuse, à laver les carreaux des fenêtres de sa maison, à naviguer dans les méandres des formules Excel d’un budget. À faire chavirer ses finances de temps en temps, parce que nul n’est parfait.

Ma fille, celle qui, quand elle avait 2 ou 3 ans, me suivait partout, même lorsque j’allais au petit coin, ma fille part faire sa vie. Mon univers s’effrite un peu mais je suis si touchée de la voir prendre son envol. Je veux lui dire que tout va bien aller, même si cette phrase est maintenant usée jusqu’à la corde. Je veux la rassurer mais c’est moi qui dois faire preuve de bravoure. Je vais devoir apprendre à vivre sans sa beauté quotidienne.

Il y aura plus de silence une fois que les mouvances seront complétées.

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Je déménage. Encore.

Je ressens un sursaut de vieillesse. Mes rotules trop peu huilées, je cours après mon souffle de pauvre marathonienne dans les marches d’escalier.

Je pars dans le bois et j’espère y rester longtemps avec l’homme de ma vie.

Nous quitterons parfois notre nid d’aigle. Nous irons vers d’autres cosmos fascinants pour aller voir vivre nos enfants.

Nos enfants qui, eux aussi, déménageront encore et encore.

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