Épier la vie des autres

Cette pandémie nous aura inculqué une nouvelle discipline qui sera sans doute élevée au rang de sport national : prendre de longues marches. Parfois, je délaisse les sentiers dans le bois pour aller marcher en ville ou longer le chemin des lacs. Je m’adonne alors à un plaisir coupable : laisser vagabonder mon imagination et imaginer la vie des gens qui vivent dans leur maison.

Derrière ces portes, il y a la vie bat.

Je suis cette passante qui déambule, curieuse. Tournée vers tous ces intérieurs à chacun de mes pas.

Délicieuse indiscrétion : jeter un regard furtif vers les fenêtres éclairées.

Coup d’œil oblique pour cueillir l’éclat du quotidien.

Le confort indolent, éclairée par la lueur du petit écran où l’on devine les regards boulonnés à un téléroman.

Dans ces maisons, on fait l’ordinaire.

Le banal rassurant, ponctué d’étreintes qui n’ont rien de virtuelles. L’existence faites de querelles et bouderies, mais aussi de célébrations dans un lieu qui soudain se déguise avec quelques guirlandes. Il n'y a que dans nos maisons qu'on peut encore s'aimer avec nos bras et nos baisers.

La bienveillance du quotidien réglé autour de la machine à café. La panique passagère des croûtons brûlés.

Nos maisons des microcosmes. Certaines devenues ruches au travail ou écoles déployées dans une pénible synchronicité.

Mais toujours, nos maisons abritent nos instants de paix retrouvée dans le moulage d’une baignoire. Tracas et repos tous deux bordés dans le lit des chambres à coucher.

Ces maisons existent parce qu’elles sont habitées, même si quelques-unes débordent de solitude. Sans vous, sans moi, elles deviennent immeubles immobiles.

Je suis cette passante qui s’arrête, heureuse de trouver une excuse à ses indiscrétion. Quelques mots de Beaudelaire s'offrent en alibi:

« Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. »

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