Le nouvel ordre dans la maison

Règle no. 1 : il n’y a plus de règle.

Règle no. 2 : inventons-en de nouvelles.

Jadis, au début de 2020, nous étions tous coincés dans le monde des hamsters hyperactifs.

« Comment ça va ? », demandait le hamster.

« Ça va vite! », répondait l’autre.

Et ils se remettaient à tourner dans leur carrousel, affolés d’avoir succombé à un micro répit.

Les hamsters moulinaient en formulant le même rêve : avoir plus de temps pour soi, avoir plus de temps pour soi, avoir plus de temps pour soi…

Du temps pour créer, cuisiner, jouer dehors, faire du ménage. Stopper le carrousel.

Arrive la mi-mars comme un coup de tonnerre, une réponse ironique du destin : le Québec doit se mettre sur pause.

Nos vœux sont exaucés! L’humanité au grand complet entre dans la dance de la lenteur, à l’exception de valeureux.ses travailleurs.euses qui s’activent au front.

Tous, sans exception, nous sommes confinés et un peu consternés… Par où commencer devant cette profusion vertigineuse de temps, impossible à gérer?

Il y a tant de possibilités qui s’offrent à nous, ça en devient étrangement étourdissant. À cela s’ajoute la notion d’une conjoncture unique pour réaliser enfin un projet, un seul. Mais lequel?

Vrai que la loi de l’évitement s’impose bien malgré nous. C’est normal! Nous devons réapprendre à faire une promenade en adoptant une nouvelle perspective : l’horizon recule, l’espace se multiplie. Comme s’il y avait une vingt-cinquième heure, tous les jours. Bonheur ou fatalité?

On a beau se délecter du chaos, bouffer du comfort food et faire l’apéro le lundi, au bout du compte, ça va finir par devenir ennuyant. Je crois sincèrement que derrière l’apparente liberté infinie, il y a l’ébauche d’une nouvelle structure.

Apprendre la lenteur ne s’improvise pas, c’est une affaire de petits pas.

Dix minutes de méditation quotidienne, ou de silence, ou de prière.

Un journal à noircir. Une ébauche à peaufiner. Une idée folle à dompter.

Ce processus emprunte un parcours motivé par une logique implacable, trouver une façon de vivre dans un monde meilleur. Tout ça en restant chez-soi, c’est tout de même assez étonnant!

Pendant la création, quelle qu’elle soit, il existe un moment de félicité absolu lorsque toutes les forces à l’intérieur en nous se focalisent. Quel cadeau de la vie! Mais cet émerveillement n’est possible que lorsque nous sommes disponibles à vivre le moment présent avec abandon. C’est sans doute l’une des tâches les plus difficiles à accomplir.

S’arrêter pour apprendre à réinventer.

Consacrer du temps pour être aux aguets, curieux de tout.
Explorer, expérimenter, partager.
Recommencer le cycle.
Apprendre à faire des erreurs. Consigner les bons coups.


27 avril, un jour nouveau se lève et le déconfinement pointe au loin.


Horreur! Pas maintenant, nous n’avons pas eu le temps d’accomplir notre mission!


Relancer l’économie, mais comment? À quel prix? Allons nous saboter l’ébauche de ce nouvel ordre qui était en train de naître, avec des précautions méticuleuses? Bousiller la montée en puissance d’un humanisme rassurant?


Je n’ai pas envie de sauter à nouveau dans le carrousel sans savoir où je m’en vais.


Aujourd’hui, si on demande au hamster, « comment ça va? », il se surprend à avoir envie de répondre « ça va vraiment lentement ».


Le hamster ne court plus dans son carrousel.

Il est plutôt en train d'y bâtir sa maison.

**Cette chronique est inspirée par la lecture du livre Laissez courir les éléphants de David Usher.

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