Survivre à l’ennui mortel

Vous avez déjà fait connaissance avec l’ennui?   Vous savez, l’ennui profond, l’ennui des dimanches pluvieux et des rues désertes, l’ennui de la disette télévisuelle et de la pénurie d’amis, l’ennui en temps de pandémie…Rien ni personne pour vous tirer de cette torpeur anesthésiante.

On appelle ça l’ennui mortel, c’est peu dire. Les distractions futiles n’existent plus. Ne comptez pas sur un centre d’achat ni même un complexe de cinémas pour fuir votre ennemi. Les terrasses sont de lointains fantasmes. Boire un coup? À quoi bon quand on n’a que la solitude avec qui trinquer.

Et c’est à cet instant précis, dans le puit sans fond de l’ennui, que se révèlent mes peurs. Me gaver de séries Netflix ne fait qu’amplifier la douleur sourde.

L’Hydre de Lerne, un monstre possédant plusieurs têtes, surgit. Je suis planquée dans ma maison, les deux pieds sur la table du salon, et la créature mythique vient me baver dans le cou.

WTF ??, direz-vous. Yep. Une bébitte avec qui on n’a pas envie de piquer une jasette.

Les plus pragmatiques tendront la main et me donneront un précieux conseil : lâche Netflix et va prendre l’air. J’ai déjà pigé le truc et je fais obstruction à la bête en allant m’essouffler dans les rues de mon quartier. Mais ce n’est pas suffisant.

Les temps sont durs et c’est normal de voir des serpents mutants imaginaires. Avez-vous fait le décompte de ce qui vous affole, entre deux pauses zen? Parce qu’il faut se le dire, c’est impossible de garder le cap sur les mantras et la zen attitude. Il y a des moments où ça déraille.

Dans ma chaumière, c’est à trois heures moins quart que ça déconne. Au beau milieu de la nuit, Ding! Bouton panique. Je suis prête à faire le 9-1-1.

L’inventaire de la gratitude ne parvient pas à démonter cette mécanique infernale.

Je me sens vaine, d’une profonde inutilité. On parle d’une armée au front et je ne peux pas m’enrôler. Du bois mort.

J’angoisse sur l’état de l’économie et la pérennité de tous ces cafés, resto, boutiques vintages, que je fréquentais.

Je suis prisonnière d’une nouvelle logique, la distanciation sociale. Enfermée dans une bulle de deux mètres avec rien d’autre que la nostalgie pour me tenir compagnie. Dans le creux de ma main, je roule en boule quelques souvenirs d’une autre époque : les grosses tablées, le bonheur compacte d’un show rap au Gambrinus, la sueur de gym, les microbes dans les marchés aux puces.

Mais la phobie suprême, c’est l’avenir de mes enfants. Trois jeunes adultes qui s’apprêtent à prendre leur envol dans le vrai monde du métro-boulot-dodo. Il n’y a pas si longtemps, Ludo, Clo et Méika allaient se servir dans le buffet à volonté des opportunités. Ils sont passé d’un « tout est possible » à « tout est à rebâtir ».

Comment s’endormir quand tout s’effondre?

Scander « ça va bien aller » ne parvient pas à me calmer. J’ai l’impression d’avancer avec une main sur les yeux, à la recherche d’un réconfort hors de ma portée.

Sombrer dans l’ennui? L’ennui me fait oublier, c’est vrai, mais l’ennui me tue. Je n’en peux plus du détournement de ma conscience devant mon écran de télé ou les réseaux sociaux. Je n’en peux plus d’être fatiguée de me coucher fatiguée.

Nous sommes bombardés de statistiques quotidiennes. Scrutés lors de nos déplacements. On régule tout, même nos rituels familiaux, pourtant si intimes. Le seul pouvoir qu’il me reste, c’est de rester ancrée dans mon souffle.

Quand l'avion pique du nez, il reste un filet d'espoir, une bribe de logique. Enfile ton masque à oxygène en premier. Respire. Sécurise-toi. Viens au secours des autres ensuite.

Reprendre un semblant de stabilité. Reprendre le fil de petits gestes.

Prendre soin de soi n’est pas une option lorsque je suis ballotté dans cette mer démontée.

Je dois redevenir une île tranquille, un port rassurant.

Pour mes enfants, mes amis et tous ceux que j’aime.

Tromper l'ennui, retourner à la case départ. Respirer.



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