Virage minimaliste

Un dimanche soir comme un autre, avant la pandémie. Nous fermons le chalet pour repartir en ville. On tourne la clé dans la serrure et on dit tout haut : « on quitte à la plus belle heure».

Notre petit lac brille de 1000 feux. Les canards s’épivardent au bout du quai. L’air est doux. Il n’y a que le pic bois entêté qui picossent en haut d’un poteau d’hydro, comme un télégraphe débile. On s’arrache de ce cadre et immanquablement, notre regard est scotché sur la moindre parcelle de lumière.

« On quitte à la plus belle heure… »

Cette affirmation, au fil des départs, s’est transformée en question.

« Pourquoi quitte-t-on à la plus belle heure? »

La « plus belle heure » nous appartient, il suffit de la cueillir. Nous allons habiter ici, sur le button au milieu des pruches. Un pacte pour nos futurs vieux jours, entre mon bel époux et moi.

C’est ainsi que le projet de notre maison est né. Ce sera notre onzième chaumière. Et comme on dit chaque fois, ce sera la dernière.

Nous allons construire une grosse mini sur un terrain grand comme un mouchoir, côté forêt. Nous mettrons notre appartement en ville à louer.

Et le chalet côté lac? Notre cabane rustique va rester telle quelle, avec son plancher en plywood et sa douche bâtie dehors, en bois de grange. Le chalet va devenir un héritage pratique pour nos trois grands enfants. Pas besoin de crever pour laisser un petit bout de nous. Mi casa es su casa, mes chéris.

Le plan est devenu plus logique avec le confinement. Rien ne peut nous atteindre, sur ce petit chemin privé. C’est une théorie qui n’a rien de scientifique, si ce n’est que de me procurer du réconfort.

Nous planifions le virage minimaliste. Le ciel est grand par ici et je n’ai pas besoin d’accrocher des cadres sur les murs. Les plafonds touchent la cime des arbres. La musique coule dans le ruisseau et dans le bruit des glaçons. Pas d’illusion, juste le reflet du jour.

Les jours et les saisons, le bleu, le vert et le blanc. Des fêtes quotidiennes.

Quitter à la plus belle heure?

Plus jamais.

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