Un après-midi estival chez MC Gilles

Il nous avait dit : « Arrivez à 13h tel jour telle date. Ma maison est de l’autre bord du chemin de fer ».  Heureux repaire, mon GPS s’était emballé et avait pigé pêle-mêle dans la toponymie les rues Sainte-Anne, de la Fabrique et d’Orvilliers au même endroit.

Sainte-Anne-de-la-Pérade est pourtant un village qui n’a pas besoin d’être géolocalisé avec son église style gothique qui se donne des airs de cathédrale. Sur la pelouse sagement peignée, la statue de Sainte-Anne qui scrute…la rivière Sainte-Anne. C’est tout juste si la canonisée ne pointe pas vers la demeure de MC Gilles.

Il est là, dans l’embrasure, encadré dans le temps. Sous la tourelle suspendue entre hier et demain. Vaisseau panoramique, ogive supersonique. MC Gilles, MC International, sourire King size estival, heureux des lundis plats sans histoire.

L’été, chaque jour est un weekend.

On jase comme si on s’était vu la veille.

Une conversation faites de varias en faisant le tour de la belle centenaire.

D’où tu viens?

Pourquoi Sainte-Anne?

La maison, c’était vraiment une banque?

Y fait-tu assez beau!

Au milieu de ce décor oublié, secoué, réveillé, MC Gilles pointe les rénovations sur la liste d’attente, les cendres du feu d’hier et la rivière. Sa rivière.

Le jardin n’est pas loin. Les framboises ne tiennent qu’à un fil, tiédeur sucrée. Tout à l’heure, j’irai voler volontiers.

 

Entrons dans la maison parenthèse.

Là où le téléphone ne sonne plus. Le verbe se pose sur une tablette, la plus haute.

Le contorsionniste de l’ironie accroche son chapeau de cowboy

Exit la musique des blagues.

Dehors l’absurde.

MC Gilles arrive au village, éteint l’éphémère, rallume l’agenda électronique des joies dérobées.

Le cœur dans la tête, une égoïne et un marteau au bout des bras.

Une gerbe de fines herbes glissée derrière l’oreille.

Mine de rien, le temps passe et coule. Le jour se dilue dans les flots.

Deux cycles de lune, une poignée de matins caféinés.

Valse lente derrière la tondeuse, MC Gilles ne se pompe plus. Mais il crinque en champion.

Il déroule les anecdotes et recense les moments mémorables. Des histoires colorées comme des tupperwares.

C’est dans le salon du deuxième où sa verve explose. Il plonge dans sa bibliothèque, dans les catalogues de l’inutile où il rit du réel endimanché.

Tout est là.

Des évangiles en cinémascope, vie de star, choc des idées. Recueil de publications Facebook format reliure. Sans oublier les annales futuristes des bonzes de l’Internet.

Et juste là-bas, des albums de sornettes.

PSY-CHO-TRO-NI-QUE

E-NIG-MA-TI-QUE

A-PO-CA-LIP-TI-QUE

On rit de bon cœur. C’est bon quand c’est con.

Et nos rires mènent au rayon des confessions.

Un fragment de question sur sa dépression. Certains diront que je suis une fieffée fouineuse mais je vous jure que non. Dans cet accueil généreux, j’espérais un partage, une part de sagesse.

Savoir qu’on peut revenir de loin, en apprendre un lot sur soi et poursuivre son chemin à grandes enjambées.

Dans mon esprit, j’ai compris qu’un jour, dans la vie de MC, la rumeur de la ville s’est tût. Impossible de rompre le silence. Il y avait la peur, le gouffre et des pages blanches. Beaucoup trop de pages blanches.

Lonely, le cowboy. Son corps était un récif, figé sous les draps. Le désert a grandi et les horizons ont dégringolé.

Comme il était dérisoire, le métronome des besognes.

La mémoire des je-sais-tout avait perdu la raison.

Combien de semaines? Où était-ce des mois? MC s’est administré la thérapie de l’autoroute 40, il a filé vers sa maison. En traversant le pont face à l’église-cathédrale, Sainte-Anne se tenait là et pointait vers le chemin de fer.

« Enwowe dans ta centenaire. Rentre dans ton rêve habitable ».

Sainte-Anne est une germaine.

Ce qu’elle disait à MC, c’est :

« Viens refaire la grande boucle des jours stériles. Rénover. Tendre le papier peint. Isoler la cuisine d’été. Passer le peigne fin dans le bric-à-brac, liquider tes plus beaux débarras. Garder l’insondable inutile, pour le plaisir. Un jour, ça ira mieux. Amen ».

Sainte-Anne avait raison. MC Gilles est remonté dans l’escabeau, sous un tonnerre d’applaudissements. Il tient tout là-haut, fier d’avoir réussi à déjouer le déséquilibre.

Cher monsieur MC, je te remercie de m’avoir permis d’entrer chez toi pour te retrouver tel que je t’imaginais, verbeux et juste assez baveux.

Mais surtout, simple et sincère.

Merci.

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