Mon amie Johane

Johane a bâti cette maison comme on tisse une catalogne, avec des bouts à la traîne, des morceaux d’objets oubliés. Le comptoir du magasin d’Untel. Une grosse branche droite comme une flèche miraculeusement apportée par sa rivière. Le passé ramené en belle petites tranches. Il ne manque que du beau crémage.

Rien ne se perd, tout se crée. Matière malléable et vivante, incarnée, détournée, comme cet instrument aratoire maintenant devenue rampe d’escalier. Une patente si antique qu’on ne parvient plus à lui coller un nom. Herse ou râteau hérissé? Allez savoir, l’histoire s’est enlisée dans l’efficacité redoutable de nos façons de faire. C’est elle-même qui le dit, Johane aime aller à la rencontre de son paysage, remuer les racines du milieu rural dont elle est issue. Et c’est ainsi que patrimoine et fantasmagorie deviennent ami-ami, lâchés lousse.

 

Johane est un oiseau qui a fait son nid en se souciant des lendemains de tous et chacun. En honorant l’étoffe d’un pays trop souvent mal aimé. L’herbe d’ailleurs ne lui fait pas envie, c’est ici qu’elle mène son bonheur. Qu’elle sème le bonheur.

 

Il faut la voir aller! Elle a cette façon d’exister, apaisée par le chaos des rapides sur la Batiscan. Elle fend les flots, elle fend le vent. Pagaie en zigzaguant, avec tous ses sens. Son instinct la porte devant, en passant par les chemins de travers. La journée ne ressemble jamais à celle d’hier même si les gestes répondent à l’écho d’une habitude ancrée dans la tradition.

 

Sa rivière, libre, est passée à ça d’être harnachée. Cette histoire de barrage a révélé son audace et son engagement indéfectible pour la terre qui l’a vue naître. La beauté a fini par gagner, pour le moment. Il est encore là, le spectacle perpétuel où s’entrechoquent le tumulte des bouillons entre les tranchées d’eau sombre. Mais il faut toujours se méfier de l’eau qui dort.

 

Ce n’est jamais fini tant que ce n’est pas fini. Johane l’oiseau, Johane prêtresse du Slow, éclaire tout ce qu’elle aime, l’air de dire : « Regarde, le monde est à nos pieds. Tu n’as qu’à te pencher pour le cueillir ».

C’est elle qui me l’a appris: il faut savoir compter sur la générosité de tous nos printemps et ainsi va la vie, dans son cycle infinie.

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Les lendemains qui chantent dans le bungalow de Patricia Powers et Gilles Hamelin.