Casser maison

Vider les garde-robes. Remplir des boîtes. Mouvement perpétuel des nomades abonnés au premier juillet.

Il est temps de partir. Je me tiens debout au milieu du salon double de ce duplex érigé en 1926. Regard circulaire dans notre quatre et demi : ces murs ont été le témoin de combien d’étreintes? Je devine la poussière qui est retombée sur les braises des prises de becs passionnées. Cœurs légers, amourachés. Racommodements raisonnables. Cette maison a abrité les belles passions.

Elle a aussi vu l’histoire.

Bâtie dans l’allégresse, juste avant le crash boursier. La deuxième guerre. Le twist à Elvis. 

Guerre froide et révolution tranquille. 

Et maintenant, des annales contemporaine qui s’invitent avec la pandémie. Un feuilleton écrit avec nos peurs secrètes et un relent de solidarité.

C’est sans oublier la vie, si ordinaire et universelle. Les chicanes, désuètes, inutiles, mouillées de larmes. Les chicanes suivies des réconciliations. Héroïques. 

Nous avons dressé l’inventaire nécessaire pour programmer la migration. 

Il faut bien coordonner notre soudaine toquade pour le minimalisme.

Nous avons déménagé si souvent!

Mais cette fois, c’est différent. On « casse maison ». Mon époux et moi entamons le grand droit. Nous allons finir nos jours dans la forêt.

Est-ce la cinquantaine qui parle? L’urgence de vivre lentement qui nous rattrape? Nous allons nous tenir par la main pour observer le cycle des saisons. Nous partons nous réfugier dans la nature, vivre à fond jusqu’à l’évanouissement. Vieux, heureux, sages et repus, au milieu d’un lit de fougères, près du ruisseau gorgé d’ondées matinales. Deux amoureux qui s’aiment envers et contre tous.

Machine à café? Essentielle. Tout comme le linge mou et les bobettes. N’oublions pas la très grande couette sous laquelle nous redeviendrons des vieux ados étonnés de notre vigueur soudaine. Et cette valise pleine à craquer des photos de bébés de nos trois enfants. Comme nous aimons méditer sur ces minois parfaits. Meilleur que des vidéos de chats.

Sans oublier notre amour inconditionnel, l’un pour l’autre.

"J'écris pour te dire que je t'aime

Que mon coeur qui voyage tous les jours

-Le coeur parti dans la dernière neige

Le coeur parti dans les yeux qui passent

Le coeur parti dans le vent des cordages

Le coeur parti dans les ciels d'hypnose-

Revient le soir comme une bête atteinte"

Extrait "Ma Ravie", Gaston Miron

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