Désencabanés

Je nous écoute venir au monde. L’été est arrivé en fantasque, en tassant du bout du coude un p'tit printemps tousseux et peureux. On va s’en souvenir longtemps de ce mois de mai 2020. 

Les grandes chaleurs ont fondu jusque dans notre cou. J’ai déterré mes robes. Je les ai enfilées sur mes cannes blanches, trop blanches. Fluorescentes comme une relique de banc de neige qui s’est laissé oublié entre les grands cèdres, au beau milieu des bois.

J’ai lâché un peu la maison. Pas question de rester encabanée! Un été en mai, il faut lui faire la fête. Même si c’est une fête résignée, prudente et sans grandes effusions. À chanter du Harmonium en ramant sur le lac. En trinquant avec les oiseaux-mouches curieusement moins effarouchés. C’est peut-être des idées que je me fais. C’est peut-être moi qui prends le temps de les regarder.

Malgré le bruit de la machinerie qui gronde sur le terrain où sera érigée notre grosse mini maison, les animaux surgissent de la brousse. Crapauds et couleuvres. Chouettes endimanchées avec du feu dans les yeux. J’observe une autoroute sur le lac, où les ouaouarons font vrombir leur moteur, où la famille de canards pédalent en fou, où le castor débarquent comme un terroriste, prêt mettre le bordel dans les battures pour ériger ses barrages.

Le soleil se lève et se couche, dans une explosion ardente. Naître et mourir en une seule journée, mais quelle journée! Peut-on brailler sur son sort pendant que l’été danse en mai?

Peut-on se voiler les yeux pour scruter son nombril alors que se joue toute la beauté du monde pendant les plus longs jours de l’année?

J’ai secoué les vieilles torpeurs printanières. Je les ai entassées avec le reste de mes affaires que je vais recycler. Les bons débarras.  

Tout le reste, les peurs insignifiantes, la bile des insomnies de minuit et les cossins irrécupérables, je vais les mettre au chemin. Je vais attendre le jour des poubelles et dire « Ciao! Bye! » les mauvais débarras.

Combien d’été comme celui-ci? Mémorable. Matériau brute d’une belle nostalgie.

Je ne veux jamais oublier cet été qui se déploie parce qu’il me ramène à un début du monde que je souhaite éternel.

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