Giclée de mots sur une page blanche

Je me suis dit : Tiens, je ne sais plus écrire. Les mots ont pris la fuite en catimini. Envolés.

C’est du moins ce que je croyais, enrobée dans la moiteur des soirées d’hiver. Avalant des épisodes insipides de téléroman pour meubler la nuit.

L’hiver est un rêve éveillé, je m’y réconforte en dormeuse, debout dans la cuisine. Une enfilade de potages et de chandails fatigués. L’éventail d’un feu dans l’âtre secoue des ondes de chaleur. J’ai entre mes doigts un collier brisé et des perles qui filent. Les anecdotes dégringolent au bout du jour.

 

D’abord, il y a eu cette séance de yoga pêchée tôt ce matin, au hasard, sur YouTube. Vingt minutes de sérénité, il faut faire vite, il y aura d’autres pénitences pour gagner mon ciel tout au long de la journée. Ma poitrine rencontre mes genoux, mes paumes caressent le sol, ma respiration s’accordent au ronron du réfrigérateur. Combien de temps? Encore un peu. Quelque part sur la terre, des cœurs s’emballent. D’autres quinquagénaires sont ployées en deux, secouent le silence. À l’unisson, nous nous soulevons. Lentes et dociles, mes sœurs cosmiques et moi déroulons un fil invisible jusqu’à la position debout. Notre corps tout entier s’enflamme. Le cirque des anges fait apparaître des chiens tête baissée, des cobras, un chat, un chameau. Une finale moulée en un lion rugissant. Et notre visage se referme. La lame des pouces sur le front pour signer la fin du parcours du souffle.

La suite est à l’avenant, trempée dans la tranquillité.

Rien sur la page blanche. Un simple état de plénitude mêlée de torpeur.

Mes mots dans le bac à compost. Bientôt, on y cueillera des champignons. C’est ainsi que se transmettra mon message, une chose organique, petits mots plantés à coup de marteau. Des spores lancés à tout vent.

Je suis ouvrière, je ramasse le bruit du vent, il devient une somme de verbes, d’épithètes. Je vis dans une cage-canopée. Heureuse en dedans. Formellement emprisonnée. Jamais inculpée. Je respire, mon cœur tonne, je m’enfonce dans la vie. J’aime ma solitude. Je maudis ma solitude.

Je bats. Je me bats. Même sonnée, je construis en brassant couleurs, odeurs et textures. Jamais rassasiée.

Je cherche mes mots. Ai-je perdu la vue? Comment retrouver cette petite voix qui me fait tant de bien?

Hier, j’ai rangé mes stylos et mon calepin dans un sac à dos, mon druide des synonymes sous le bras. Le yoga du matin avec mes amies imaginaires ne me suffit plus. J’ai besoin d’une autre communion.

Je suis allée vers un drôle de continent, dans une salle de classe lumineuse. Nous étions sept ou huit, des femmes parties à la chasse aux mots. Il s’agissait d’un « atelier d’écriture intuitive ». Ensemble, nous avons traqué tous ces mots éparpillés dans les déserts, ces mots qui, une fois capturés, savent être généreux et surprenants.

Nous avons uni nos intimes. Chacune de nous, prête à se lancer dans un workout plein de liberté. Déterminée à en découdre avec les conventions pour jongler avec moult points d’exclamation et autres mots grelots qui résonnent comme une fête.

Notre mentor s’appelle Liliane. Elle parle en dessinant avec de grands gestes, battant la mesure de son énoncé. “Voyez”, nous dit-elle, “vous écartez tout doucement des pans de votre âme pour pénétrer dans l’étroite fissure de lumière”.

Même les cul-de-sac cachent des issues secrètes.

Penchées sur nos calepins, nos stylos se sont mis à chuchoter. Je me suis remise à exister.

Enfin.

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