L’énergie des matins

La noirceur décline. Imperceptible.

Un bref coup d’œil sur le cadran. Brave tiquetaque planqué sur la tête de lit, imperceptible calcul du temps précieux, urgente insolence qui secoue les restes d’un rêve vite oublié.

Cinq heures et demie. Je peux couler hors de mon lit.

Je deviens une baigneuse, prête à tremper mon corps dans le froid du jour. Un pied, une main. Bras, tronc, tête coiffée de nids échevelés. J’émerge. Quelques brassées circulaires pour remonter la machine qui dort encore, réveiller les muscles oubliés.

Toute seule à bord de ma maison. Mon beau navire amarré à un roc.

Une première pensée pointe; elle lancera le bal des élucubrations incessantes tournant en boucle, une turbine si puissante qu’elle pourrait me fournir en électricité pour alimenter les décorations (naturelles) d’une guirlande de Noël.

Pensée no. 1

Combien sommes-nous à vouloir changer le monde encore aujourd’hui?

Réponse : sans doute beaucoup?

Le matin naissant forge ma détermination : devenir meilleure, plus sereine, productive avec zéro déchet. La mode est à la sobriété alors je prie pour que tombe sur moi ce nouvel idéal que j’avais tant négligé, moi qui aime vivre avec des envies extra-larges.

En attendant de m’incarner en Laure Waridel, j’espère répandre ma bonne foi, comme un cultivateur semant à la volée des poignées de graines. Voilà, mes intentions finiront bien par atterrir quelque part.

Pensée no. 2

Suis-je vaine?

Réponse : Chercher la gratitude? La bienveillance? Se taper une séance d’auto-compassion?

Je n’ai rien d’autres à offrir que du bonheur en télépathie, si facile à extraire parce que je suis ici dans l’abondance, vivant au milieu de la forêt. Un lieu qui n’a jamais vu ni la guerre, ni les atrocités. Assurément des petites chicanes de ménage, ça brasse toujours un peu, mais overall, il règne ici une grosse paix sale dans laquelle je mords à pleines dents. Je n’en ai jamais assez de ce bonheur-là et c’est pour cette raison que je vogue jusqu’au salon, déroule le tapis de yoga et me contorsionne pour bien imprimer la félicité jusqu’au bout de mes doigts de pieds.

La nuit traîne encore. C’est long avant que les troncs gris s’embrasent. En attendant, je déjoue la gravité en faisant le trait d’union au-dessus du plancher. La planche, position statique où rien ne bouge et tout travaille.

le miracle du soleil se fait désirer. Je craque une allumette et allume les bougies.

La lumière entre en moi. Et la baigneuse que je suis se laisse flotter doucement dans la lueur. La beauté revient, avec les affirmations positives d’une Nicole Bordeleau. Je SUIS un trait d’union, même vaine et trop privilégiée, même immobile, ma conscience travaille et diffuse des ondes de sérénité.

Tout à l’heure, j’irai sourire à la volée. Écouter avec des oreilles extra-larges. Me taire beaucoup pour honorer les silences des gens que je côtoie. L’immobilité des silences vaut la peine qu’on s’y attarde, elle nourrit la confiance de ceux que nous aimons.

Je serai un peu Laure Waridel, un peu Nicole Bordeleau.

Mais surtout, je serai moi, la baigneuse qui plonge pour s’immerger dans l’aurore, prête à capturer la fulgurance de ce moment précieux.

Généreuse de ses pensées, même les plus vaines.

 

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