La force du Nous

C’est une histoire qui s’écrit au nous.

 Un « nous » ricaneux et volontaire. Un « nous » collégial. Un « nous » engagé, déluré.

Nous sommes les bénévoles des Jardins de Métis. Je me suis jointe à ce groupe pour vivre le début de l’été dans le bas du Fleuve, juste à la frontière de la belle Gaspésie.

La frontière des rêves impossibles. Le salin mêlé à la fluidité de l’eau douce. La révolte et les câlins, connexion essentielle pour se mobiliser dans la construction d’une suite à offrir au monde.

Lundi, la mission s’amorce avec un état des lieux. Nous sommes près du grand garage, prêtes à se lancer dans un sprint à fond de train et à faire la guerre en même temps, tant nous sommes hallucinées par la puissante efficacité qui nous habite. Le couteau entre les dents et une marguerite sur l’oreille.

Le grand patron, François, toise ses troupes. Est-ce qu’il jubile devant le torrent d’énergie des bénévoles, ou a-t-il flairé notre insatiable envie d’avoir du fun en gang? Derrière ce demi-sourire, on devine son fol espoir de voir apparaître, encore une fois cette année, un autre miracle. Oui, chef! Nous serons à la hauteur, enjouées et besogneuses, les mains dans la roche et l’argile, les cheveux en bataille et toujours, légères, malgré nos courbatures pliées serrées jusque dans nos os. Belles échevelées parées d’un collier de sueur.

Nous ferons apparaître la vision d’architectes, de botanistes, d’artistes et de jardiniers, grâce à la force de nos genoux et de nos jointures vermoulues. Un espace où s’érigent de curieuses inventions, autant de sources jaillissant du néant. Lumière sur les idéaux souverains, érigés dans un coin d’Éden où nous avons enfin le droit d’exhiber nos espérances.

En attendant la création du 8e jour, nous serons humbles. Le début de la semaine se dessine en de vagues ébauches, jaillissant çà et là. Entre les allées, les mauvaises herbes font la loi. Nous sommes prêtes à dompter la beauté débraillée.  

Et moi, et moi…Hors de ce « nous », où vais-je?

Je pars sur la pointe des pieds, je dérive vers les bonheurs simples auxquels je goûte depuis ma transformation en femme des bois. Là où j’ai jeté l’ancre pour longtemps, très longtemps.

Cette semaine, j’apprends à manier pelles et râteaux, sur un chantier. Je dessine dans la verdure, trace de grandes lignes nettes, travaille à confondre la fine lisière entre le sauvage et le cultivé. Je réfléchis sur qui je suis, en dedans.

Le soir venu, c’est le festival des anecdotes. Les rires déboulent; la langue de l’amitié se déploie avec allégresse. Une autre journée à fabriquer du grandiose. La lumière coule doucement sur le Saint-Laurent. Point de fuite éclatant devant nos regards hébétés. Le jour s’éteint, tout comme nous.

Une fois le tintement des fourchettes et des coupes s’étant tu, nous allons fondre entre les plis des draps. Délicieusement abimées.

 Optimistes.

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