Les arts ménagers

L’oignon tranché mince danse sur l’huile, libère un parfum réconfortant, se pare d’une robe translucide. Ajouter deux gousses d’ail, et pourquoi pas trois, puisque la visite ne viendra pas.  Moduler la chaleur, couver du regard la concoction. Écraser une larme sous l’effet des arômes sucrés de l’ail du Québec qui ont de quoi émouvoir la cuisinière.

 Jouer aux alchimistes et arroser d’un trait de vin blanc. Faire tomber les fines herbes en flocons. Saler, poivrer. Humer les effluves aux portes du paradis. 

Et ce n’est pas fini. Il y aura ensuite le bouillon de poule maison gélatineux qu’on sortira du frigo. Mais que faire avec le gras? Les arts ménagers n’ont pas trouvé réponse à cette énigme. Le déni est de mise, rompre le cycle, fermer les yeux. Jeter, en se gardant bien de le marier au compost. Faire comme tout le monde et jeter tout court sans penser aux lendemains.

Reprendre la vision « soupe ». Jouer avec les couleurs et multiplier les cubes de carottes, navets, céleri, poivrons, selon l’humeur. Arts ménagers ou art tout court puisque le résultat ne sera jamais le même. Oui, l’ail et les oignons mais ensuite, chaque petite touche libère un trait, ouvre un chemin olfactif, selon la couleur de l’assaisonnement. Vol direct vers les sentiers de la Corse, au milieu du maquis odorant. Escale à Bombay dans une échoppe imaginaires, avec quelques pincées de poudre écarlate, Garam Masala. Fricot oranger et nuage de lait de coco. 

La soupe du réconfort est universelle. Les arts ménagers débordent de sagesse et d’humilité. Savoir faire la soupe, c’est le début pour lancer la révolution. L’intuition de multiplier le « très peu » pour distribuer le « beaucoup » à une grande tablée.

Je porte la cuillère à mes lèvres et j’ai une pensée pour ma terre qui brûle. Ce monde si beau, pourtant larvé de trous béants, troublés de conflits scandaleux. La lumière se casse. J’ai faim de légèreté. La minutieuse concision des arts ménagers me permet de contrôler, un peu, la suite des choses. 

Je coupe un oignon jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, seulement la pelure sèche sur laquelle je pourrais écrire des vœux. 

Je me sens prendre racine dans ma lignée, mes tantes, ma grand-mère, mon père, ceux qui ont scruté un frigo vide et ont réussi à cuisiner pour 10.

Une histoire sans fin remplit les ventres vides avec quelques légumes racines. 

Les arts ménagers célèbrent les miracles simples et se foutent de tout ce qui meurt.

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