Méditer en octobre

J’ai cligné de l’œil et l’été s’est muée en un somptueux tableau d’or. Octobre déroule ses offrandes. La forêt chorale murmure tout bas, « sois heureuse sans jamais te taire. Sois heureuse avec conviction, propulsée par l’énergie des choses quotidiennes », me souffle le vent.

Je découpe les pommes de terre et j’en fait des mijotés maison avec les restes d’un poulet. Tout est bon lorsque le dehors exulte. Croquer la Honeycrisp, siroter une tisane pour ensuite rabriller avec une ponce de rouge. Faire un feu près du lac, s’hypnotiser dans la banalité d’une conversation, sans se soucier du jour qui tombe aussi vite qu’un astéroïde. Rapailler tous les membres de la famille et former les mots “je t’aime” avec un seul regard sur eux.

Pour faire tout cela, il me faut méditer, ou faire semblant, baignée par la lueur des chandelles de soya qui sentent le sapin. Retraite forcée de quelques instants dans une atmosphère faussement tibétaine.

Entrez avec moi, vers cette minuscule mezzanine. C’est ici que se prennent les résolutions, c’est ici que j’essaie de découdre les accoutumances. C’est ici que le souffle s’immisce jusqu’aux jointures. Mon dos est en porcelaine, je le sens fragile. Cet instant suspendu au-dessus du vide rallume l’amour et la haine, « pourquoi suis-je ce sablier qui se vide? C’est pourtant si facile de le retourner pour renaître, réapparaître pour brandir les vérités ». Je suis belle, je suis forte, je suis créative. Je suis octobre, lumineuse, riche, étonnante.

Pour me retrouver, pour me recentrer, je dois gravir les 7 marches d’un escabeau/escalier en pin. Comme si je décidais de sauter sur un vol qui n’est pas un retour, mais juste un « ailleurs ». Destination Mezzanine, endroit magique. Un coin de la maison perché/perdu dans un tableau de Riopelle, avec vue sur les nuages accrochés aux cimes qui s’inclinent sous le poids de la beauté.

Pourquoi fermer les yeux? Pardi! Pour s’ancrer dans le souvenir de ce qui m’entoure, « assise sur le rebord du monde », comme le chante Cabrel. Aujourd’hui, je revisite le souvenir d’une plage de Nusa Lembongan, petite île au large du sud de Bali. Je revois les enfants qui lancent des coquillages et qui courent pour cueillir les gerbes d’eau. Il a fait si chaud, c’est bon de se laisser caresser par la brise fraîche. 18 heures. Sous la dernière flambée qui fait trembler l’horizon, le haut-parleur grésille. On entend la voix d’un homme qui n’existe pas – ou existe-t-il? Sur cette île d’à peine 8 kilomètres carrés, une petite communauté musulmane offre le cantique qui signe la fin du jour. Il résonne encore en moi. J’ai récolté ces quelques remembrances, je les ai engrangées, je conserve la chaleur de ce court voyage. Imbibée d’une « vibe » douce. J’étais sur cette plage qui appartient à un autre monde. C’était en octobre. Et octobre bruissait en moi, ce mois qui m’a vu naître, petit bébé potelé modèle 1964. Propulsé dans un monde en turbulence mais teinté par la flamboyance de tous ces octobres. Béni de venir au monde dans la brûlante agonie des étés. Octobre, ma lueur.

Je termine la méditation avec les bras en l’air, comme une prisonnière qui se rend aux autorités. J’abdique! Je marcherai dans la lumière, j’aspirerai les particules d’octobre pour mieux connecter avec les humaines et les humains. Je serai distributrice de sagesse, douce comme le sirop d’érable. 

L’effet Mezzanine me permettra de m’assoir sur le rebord du monde pour retrouver la chaleur d’octobre mêlée à l’exotisme des souvenirs de voyage. Réfléchir. Me poser. Laisser courir les idées. Vouloir attraper les meilleures. En laisser échapper quelques-unes. Mais, tout de même, réussir à accomplir mon destin. Briller auprès de tous ceux que j’aime. Vous aimez en silence. Nourrir vos élans avec discrétion. Former les mots “je t’aime” sans jamais vous étouffer.

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