Les humbles fondations du bonheur

Là-haut, derrière la fenêtre délicatement voilée, une fillette mesurait la grandeur du monde un étage plus bas. La rue principale, la voie ferrée, les trottoirs fleuris de pissenlits, la meunerie voisine. Un va-et-vient incessant de véhicules, de ti-culs à vélo et de chats égarés visiblement suicidaires.

Cette fillette, c’était moi, dans le quatre et demi où je suis née. Une maison volubile, une maison faisant entendre une chanson qui ne finissait jamais : chuintement de la fournaise à l’huile, gémissements du planchers sous le prélart fatigué, sans oublier la gigue des chassis double lors du passage du train.

J’y suis née et j’y ai habité jusqu’à l’âge de 7 ans, filant un bonheur parfait parce que j’étais libre d’aller et venir comme bon me semblait. Deux volées d’escaliers, un carré de sable, de grands arbres, un petit tapis de gazon frais et des cousins/cousines dans les maisons voisines.

Dans mon souvenir, je goûtais à la douceur du paradis, une opinion que ne partageait pas ma mère. La lumière n’était pas jamais assez vive pour gommer toutes les imperfections. À travers les rayons fanés, maman tenait maison avec rigueur, à grands coups de moppe. Le délicat turquoise des murs du salon avait pourtant de quoi apaiser son désir brûlant d’avoir enfin un bungalow tout neuf. Détermination, espoir et promesses émaillaient les discussions autour de la table en formica. J’ignorais si nous étions pauvres mais le rêve semblait tout de même à notre portée.

En attendant de décrocher notre idéal, sous le drapé de mon imaginaire, une ribambelle d’amis imaginaires se relayaient pour me tenir la main. Jamais je n’ai eu peur, même lorsque nos nuits étaient parfois suspendues pendant de longues minutes par le bruit étourdissants des motards, les « Popeyes », roulant à tombeau ouvert en plein cœur du village. Un noir infini finissait toujours par les avaler et l’insouciance reprenait sa place, entre le toutou et l’oreiller.

Dans ce 4 et demi, j’ai récité mes premiers poèmes, comptines enfantines qui forgeaient de jolies larmes de joie sur les joues de ma belle maman. J’ai vu l’écran de ma télévision passer du noir et blanc au technicolor. Ma chambre se diviser en deux, et ma joie exploser, avec l’arrivée d’une petite sœur. J’ai patiemment attendu que la rudesse de l’hiver fonde devant l’éclat des bourgeons des arbres centenaires ceinturant la cour. J’ai bu l’été à grandes lampées, le cul dans une barboteuse de fortune sur la grande galerie.

Notre logement au premier étage, flottant au-dessus du monde, perché haut pour me permettre d’atteindre plus facilement les étoiles. Contrairement à mes parents, je n’attendais pas de vivre d’autres rêves que celui-ci. Le ravissement ne me quittait jamais, c’est ce sentiment qui me tirait du lit, heureuse de vivre dans une maison chaleureuse, un lieu où je me sentais aimée, protégée. L’espérance peut attendre lorsque le contentement a fait son nid.

 

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La vie après TVA, ou la douloureuse délivrance du changement.

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