Mamichou: naissance d’une grand-mère

Dans mes bras, une enfant. Peau dorée, comme la croûte d’un pain chaud. Mon nez dans le pli de son cou, j’exulte. Me voilà grand-mère de Livia-Rose. “Grand-mère”, un drôle de mot qui désigne un semblant de vieille sagesse tapie tout au fond de moi.

Appelez-moi « Mamichou » , ai-je demandé à toute la famille.

Je déconstruis le titre pour une lignée réinventée. Le bébé est celui de ma douce princesse des îles, Méika.

(Réminiscence entre parenthèses)

Novembre 2001. Méika, ma fille adorée, a traversé la mer des Caraïbes. Nous l’avons cueillie à l’aéroport, au milieu du va-et-vient des voyageurs. Je revois son regard grave. Déjà, elle s’imprégnait du nouveau pays, reléguant aux oubliettes, bien malgré elle, son lieu d’origine. Haïti, Haïti, nous voilà avec une fillette de deux ans, à ne pas savoir comment honorer ta mémoire.

Méika a depuis longtemps perdu l’ombre du fil ténu qui la relie à sa mère biologique. « Biologique », un mot à la fois précis et vague pour établir un ancrage avec la naissance. Une naissance chargée de parfums, de souvenirs, de traditions. Entre le bonheur du premier cri, et celui du dernier, si cruel, de la séparation, des chemins fertiles en émotions se sont évanouis à tout jamais.

Nous sommes blancs, descendants de colons français aux manches retroussés. C’est dans ce livre d’histoire que s’est écrit le destin de Méika.

Nous avons longtemps songé à retourner dans la maison de Kenscoff. Tendre la main à la mère, celle qui serait aujourd’hui, en 2024, l’autre grand-mère «biologique». Sortir du texte au temps présent pour aller visiter le passé.

Aurions-nous été assez habile pour marcher à reculons et remonter le temps? Souffler sur les braises, voir renaître le feu, réentendre les fables mille fois racontés par les aïeux dont nous ne savons rien.

Aujourd’hui…

2024, avec ton bébé dans mes bras, je sors du temps présent pour aller erreur là où la généalogie s’est effacée.

Lier l’aiguille au fil. Piquer jusqu’à hier pour coudre le temps d’aujourd’hui.

Vie décousue, album photo rempli de trous.

Réveiller les sourires du passé. Faire la paix avec les tabous d’hier.

Repartir ailleurs, au soleil. Si la mémoire s’est éteinte, il nous reste la puissance d’une légende.

 

 

 

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