Mettre la nuit au pas

 La nuit tire sur le jour. L’horizon ferme les paupières, laissant fondre des traînées oranges rosées. L’embrasement du coucher cède sa place à un silence austère, inquiétant. Heureusement, seule la neige refuse de s’éteindre, tout comme moi. Il faut investir les heures, les faire fructifier. Bouger, repousser le moment où j’irai me rouler en boule sur le canapé, devant un écran de télé. Il faut reprendre possession de cet ilot nocturne où le temps prend son temps.

Il faut mettre la nuit au pas, même si elle repousse notre audace et notre sursaut d’énergie. L’autre jour, entre chien et loup, mon chéri a vu ses derniers foulées de jogging se gâcher face à une vision inquiétante : le regard incandescent d’un animal sur le bord du chemin. Plus petit qu’un ours, plus gros qu’un renard. Obstinément immobile. Les yeux lumineux comme une réclame de film d’horreur. Était-ce un carcajou? Le mammifère est reparti vers la montagne, semant derrière lui émoi et traces griffues.

Mon chéri a eu la chienne, c’est vrai, mais il persiste et court toujours. Son anecdote ne doit pas plomber mon nouveau bonheur d’errer dans la pénombre. Il ne faut pas céder aux peurs qui n’existent pas. Le carcajou est un nécrophage réputé qui n’a aucun attrait pour les humains anxieux.

Carcajou fantasmagorique, blessures enfouies, agresseurs déguisés en fantôme, souvenirs pourris, rien ne m’arrête. Je crève la nuit avec ma lampe frontale, j’avance sous la lueur d’une lune pâle.

Intrépide, je remets les pendules à l’heure qui me plaît. Je n’ai ni arme, ni bouclier. Je suis emmitouflée dans une chaude certitude : j’ai ma place ici dans ce monde peuplé de bons et de méchants. Je ne suis qu’une humble héroïne pour qui la noirceur s’efface comme par magie.

J’avance, parfaitement consciente de la solitude du moment. La nuit est mon nouveau repaire où je forge ma volonté d’aller toujours plus loin.

Précédent
Précédent

Ailleurs, d’autres maisons

Suivant
Suivant

Insensé