Marcel Dargis et Lise Carignan: quand vivre chez-soi devient un exploit

Avant de se marier, Marcel et Lise habitaient le bas du Cap, un modeste quartier tricoté serré, avec ses ruelles enguirlandées de cordes à linge et ses coins de rue encadrés avec la devanture de dépanneurs. L’église n’était pas loin. On pouvait partir à pied pour se faire un pique-nique près de la rivière Saint-Maurice. C’était si beau! On en oubliait presque la Wayagamack et sa montagne de pitounes, grosse usine chauffée à blanc crachant jour et nuit la sueur des travailleurs.

 

C’était la fin des années 50. D’autres quartiers se dessinaient un peu plus haut, sur les coteaux du Cap. Les nouveaux mariés rêvaient d’un espace bien à eux. Un rêve abordable mais surtout, raisonnable.

Les Dargis-Carignan ont emménagé dans leur bungalow du Cap en 1963. Leur nouveau quartier était en friche. Une tranche de ville s’écrivait ici, avec la construction graduelle d’autres maisons-modèles. La rue en croissant a tracé la trajectoire du reste de leur vie. Ils ont coulé des jours heureux. Fondé une famille. Vécu à la hauteur de leurs moyens. Les saisons ont passé, les enfants ont grandi puis sont partis vivre leur vie.   

L’histoire des Carignan-Dargis ressemble à celle de mes parents, qui ont à peu près le même âge. C’est l’histoire d’une génération qui a mené une vie bien rangée. Pas de bonheur à crédit en 24 paiements égaux. 

La seule démesure que Marcel s’est accordée a été de consacrer une partie de sa vie à la nostalgie. Pas un spleen larmoyant mais plutôt une célébration de sa vie d’antan, celle de la paroisse Saint-Lazare dans le bas du Cap. Une vie colorée, enracinée dans les rituels, rythmée sur les shifts de la manufacture et le glas des angélus.

Ça s’est d’abord manifesté avec des dessins, des tas de dessins! Les tiroirs se sont mis à déborder, racontant la mémoire trépidante de son quartier d’enfance. Les légendes côtoyaient les histoires de bûcherons et les fêtes religieuses. Des parties de hockey improvisées au beau milieu de la rue mettaient en scène l’éternel duel Maple Leaf de Toronto et Canadien de Montréal. Des réveillons de Noël, des perrons d’églises et des fanfares au milieu des parcs, tout a émergé dans un bouillonnement créatif.

Le geyser ne s’est jamais tari : plus de 800 toiles à ce jour! Marcel Dargis peint sans relâche le journal de son époque. Si certains évoquent cette ère en la nommant « Grande Noirceur », c’est qu’ils n’ont jamais vu les toiles de Marcel, flamboyantes et pleines de rigodons. Il a été et restera toujours un esprit libre.

Aujourd’hui, Lise a 86 ans et Marcel, 92. Sans le vouloir, ils sont devenus des résistants. On s’étonne de voir des personnes âgées habiter encore leur maison. C’est pourtant leur raison de vivre.  

Ils font partie des chanceux puisqu’ils peuvent compter sur une ressource précieuse pour les petites corvées du quotidien : leur fille. 

Mais qu’en est-il des autres? Ceux qui vivent seuls, ceux qui vivent dans la précarité? 

Les grands principes du « maintien chez soi » dorment encore dans des classeurs. J’espère qu’on aura trouvé la clé pour ouvrir le tiroir lorsque ça sera mon tour…

Le temps presse et pendant ce temps, on forge, à grands coups de millions et de promesses, des Klondike pour les aînés. Des « maisons » sublimées sur papier mais qui demeurent inaccessibles dans la vraie vie. 

Alors que la solution est si simple : opérer un réel virage vers des soins et des services adaptés à domicile. 

Une solution qui s’écrit en deux mot : chez-soi.

Une solution sans extravagance pour continuer à mener une vie bien rangée.

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